Les entreprises adaptées ne sont pas des entreprises ordinaires. À bien des égards, elles sont même extraordinaires. À ce titre, elles véhiculent un certain nombre d’idées reçues. Comment démêler le vrai du faux en huit points.
Les entreprises adaptées sont complémentaires aux ESAT
Vrai – Les entreprises adaptées (appelées « ateliers protégés » jusqu’en 2005), comme toute autre entreprise, poursuivent un but commercial, sont soumises à un impératif de performance économique et entrent dans le cadre traditionnel du droit du travail. Les personnes qu’elles emploient ont donc un statut de salarié.
A la différence des entreprises adaptées (EA), les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), autrefois appelés centres d’aide par le travail (CAT), sont des établissements financés à 80 % par l’État, sans critère d’employabilité ou de rentabilité. Ils permettent de fournir une activité professionnelle rémunérée à des personnes en situation de handicap nécessitant un suivi médico-social et éducatif que les entreprises adaptées (EA) ne sont pas en mesure de proposer, d’un point de vue organisationnel. Ils accueillent donc des personnes dont les capacités de travail ne permettent pas d’exercer un emploi en milieu classique, ni dans une entreprise adaptée. L’ESAT peut cependant, dans certains cas, constituer un tremplin vers les EA.
Les entreprises adaptées permettent à une personne en situation de handicap de travailler dans des conditions adaptées à ses capacités. L’ESAT relève du milieu dit « protégé ». Les secteurs du travail protégé et adapté, qui regroupent ESAT et EA, poursuivent le même objectif d’accompagnement des personnes en situation de handicap vers l’emploi : début 2021, 46 000 employés travaillaient en entreprises adaptées (environ 850) et 130 000 personnes en ESAT.
Les entreprises adaptées sont des entreprises comme les autres
Vrai et faux – Au sens juridique et économique, c’est vrai. Pour exemple, plus de la moitié des 850 entreprises adaptées recensées ont adopté des formes juridiques classiques (SA, SAS, SARL) et sont soumises aux mêmes lois du marché, avec leurs avantages et leurs inconvénients : performance économique, respect des délais, des niveaux de service et de qualité, etc.
En revanche, avec 55 % au minimum de personnes en situation de handicap contre 6 % en entreprise ordinaire (et souvent moins), une ingénierie RH spécifique est nécessaire en entreprise adaptée : intégration du collaborateur, adaptation du poste de travail, professionnalisation et aide à la montée en compétences, accompagnement quotidien des travailleurs… En contrepartie, les EA perçoivent de l’État une aide financière forfaitaire contribuant à compenser l’accompagnement RH des travailleurs reconnus handicapés, qui peut varier dans le temps pour tenir compte de l’impact du vieillissement. Cette subvention représente en moyenne 20 à 25 % du chiffre d’affaires des EA.
Les EA fournissent principalement des emplois à faible niveau de qualification
Faux – Malgré une image d’Épinal tenace, le handicap ne se résume pas à la trisomie ou au fauteuil roulant, et peut prendre de multiples formes. 80 % des handicaps reconnus ne sont d’ailleurs pas visibles par autrui, tandis que plus de 70 % d’entre eux surviennent au cours de la vie : accident, troubles musculo-squelettiques tel que port de charges lourdes sur de longues périodes, etc.
De fait, de très nombreuses personnes souffrant de handicaps peuvent prétendre à des postes qualifiés. Et ce d’autant plus que depuis 2018, le modèle de calcul d’occupation des postes au sein des entreprises adaptées a changé : là où il était de 80 % de personnes en situation de handicap en production, le taux est désormais de 55 % dans l’ensemble des effectifs. Ce qui englobe donc les fonctions administratives, support et bien sûr le management.
Il est facile de recruter de nouveaux collaborateurs en EA
Faux – En France, on recense actuellement environ 500 000 personnes en situation de handicap, parmi lesquelles beaucoup ont un niveau de qualification faible, sont éloignées de l’emploi depuis longtemps ou ne peuvent plus exercer leur métier après un accident ou une maladie.
Cependant, il n’est pas aisé pour les entreprises adaptées de recruter, et cela pour deux raisons principales. Les personnes en situation de handicap doivent surmonter un manque ou une perte de confiance quant à leur capacité à trouver un emploi. Et elles méconnaissent les dispositifs d’encadrement et de montée en compétences personnalisés existants dans les entreprises adaptées, notamment pour celles souffrant de handicaps légers.
Faire appel aux secteurs adapté ou protégé permet de remplir ses obligations d’emploi de personnes handicapées
Faux – C’est l’une des mesures phares de la loi Handicap de 2018 : désormais, l’emploi indirect ne peut plus être comptabilisé dans le taux d’emploi de personnes en situation de handicap (6 % minimum) des entreprises ordinaires, et ce depuis le 1er janvier 2020. Objectif : favoriser l’emploi direct et durable des travailleurs handicapés dans toutes les structures.
Toutefois, contractualiser avec des entreprises adaptées permet de pérenniser, voire de développer, l’emploi de personnes en situation de handicap. L’un des objectifs (ambitieux) de la loi de 2018 était notamment de créer 40 000 emplois supplémentaires en EA, portant ainsi le secteur à 80 000 emplois. Suite à cette réforme, il est à noter que les entreprises adaptées ont partiellement changé de mission. Elles sont devenues en partie des entreprises d’insertion du handicap dans le cadre du « CDD Tremplin », qui consiste à intégrer et à former des personnes en situation de handicap afin de les aider à s’insérer sur le marché du travail classique. Dans le cadre de ce dispositif, les EA se sont engagées à atteindre 30 % de sorties positives (en entreprise ordinaire) des effectifs intégrés et formés.
Dans les EA, le taux d’absentéisme est supérieur à une entreprise ordinaire
Vrai – Avec un taux moyen de 20 %, l’absentéisme en entreprise adaptée est environ trois fois supérieur à la moyenne nationale. Généralement pour raisons médicales directement liées au handicap ou encore à des fragilités psychologiques. La crise sanitaire et les confinements associés n’ont fait que renforcer ce phénomène.
Il faut savoir qu’une personne sur quatre sera soumise au handicap dans sa vie : outre une nécessaire phase d’acceptation, c’est aussi toute la difficulté d’une reconversion professionnelle non souhaitée qui peut être à l’origine de ces problèmes.
Dans tous les cas, l’absentéisme est un paramètre qui est « nativement » pris en compte dans les EA : elles doivent délivrer le service à leurs clients, en tenant compte de l’impact sur la productivité qu’il engendre, voire l’obligation de disposer d’équipes élargies pour compenser.
Une EA ne survit que grâce à des subventions
Faux – Bien qu’adaptée, une EA reste une entreprise commerciale, dont les revenus dépendent de la commercialisation et de la qualité de ses services. Si des « aides au poste » sont octroyées aux entreprises adaptées, elles ne couvrent en moyenne que 80 % du surcoût estimé de 16 000 euros par poste, comprenant des équipes suffisantes pour pallier l’absentéisme, un indispensable encadrement spécifique ou encore l’adaptation du poste de travail.
Les EA constituent un vivier essentiel pour la relocalisation d’emplois et la réindustrialisation
Vrai – La crise sanitaire a été l’occasion pour le secteur adapté de montrer toute sa résilience. En quelques semaines en 2020, un consortium d’entreprises d’insertion et d’entreprises adaptées a par exemple permis de monter une filière textile (pour la fabrication de masques) créant, en pleine crise, 4 000 emplois, dont 2 000 de long terme (production de masques et de T-shirts made in France). Cette initiative, baptisée Resilience, est aujourd’hui suivie par deux nouveaux consortiums dans le numérique et dans l’automobile.
En d’autres termes, les entreprises adaptées ont désormais toutes les cartes en main pour jouer un rôle clé dans la reprise économique, en proposant du « made in France ». À condition toutefois de disposer des moyens pour leur développement. Avec une moyenne de 40 personnes en situation de handicap, les EA françaises restent bien souvent des PME, là où certaines de leurs consœurs espagnoles ou irlandaises comptent, elles, plusieurs milliers de salariés.
Par Sylvain Couthier, président du Groupe ATF et de l’entreprise adaptée ATF Gaia.